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"Description de l'Afrique Septentrionale en 1068" par El-Bekri
traduit par Mac Gukin de Slane
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"Voyage dans les Régences de Tunis et d'Alger en 1724-1725"
par J.A. PEYSSONNEL
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"Chronique tunisienne 1725-1764" (Edition Bouslama)
de Mohammed Seghir ben Youssef
(Taille : 3300 Ko)
Pages 84 à 87 Insurrection anti Hussein Ben Ali dans la ville du Kef en 1728
Pages 257 à 261 Début du siège du Kef par l'armée algérienne en 1746
Pages 269 à 270 Echec et fin du siège du Kef par l'armée algérienne en 1746
Pages 301 à 302 Prise de la Kasbah du Kef par les partisans de Younes alors que la ville soutient Ali Pacha (1752)
Pages 353 à 363 Siège et prise du Kef par l'armée algérienne en 1756
 
"Voyage dans plusieurs provinces de Barbarie et du Levant en 1740"
par Mr M.D. Shaw
(Taille : 172 Ko)
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"Récit d'un voyage de TUNIS au KEF"
exécuté par le Sr Gabriel Dupont en 1744
(Taille : 491 Ko)
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"Excursions in the Mediterranean"
by Major Sir Grenville T. TEMPLE (1835)
(Taille : 372 Ko)
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"Description de la Régence de Tunis et d'Alger en 1840-1842"
par E. PELLISSIER
 
"Revue africaine (1857)"
par A. BERBRUGGER
(Taille : 1047 Ko)
Source GALLICA - BNF
 
"Notice sur la Régence de Tunis (1858)"
par H. DUNANT
(Taille : 591 Ko)
Source GOOGLE LIVRES
 
"Voyage archéologique dans la Régence de Tunis en 1860"
par V. GUERIN
(Taille : 552 Ko)
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"Itinéraire de Souk Ahras à Tunis en passant par Le Kef en 1875"
par le Général Brunon
(Taille : 3.3 Mo)
 
En Tunisie par Albert de La Berge (1881). Récit de la prise du Kef par l'armée française en 1881 avec retranscription très intéressante des télégrammes entre l'agent consulaire français au Kef et Tunis pendant l'avance française
(Taille : 334 Ko)
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Article du journal "Le Voleur" daté du 13 Mai 1881 qui relate la prise du Kef par l'Armée Française (Taille : 1890 Ko)
 
Historique du 13e Régiment de chasseurs par P. Descaves
Combats autour du Kef en 1881
(Taille : 1027 Ko)
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La Tunisie de H. Duveyrier (1881). Description de la ville
(Taille : 165 Ko)
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Voyage en Tunisie en 1882-1883 par MM R. CAGNAT et H. SALADIN chargés d'une mission archéologique par le ministère de l'Instruction publique, paru dans LE TOUR DU MONDE 1887 publié par Mr Edouard CHARTON
(Taille : 3.50 Mo)
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"La basilique chrétienne de Ksar-el-Ghoul"
par le lieutenant Esperandieu (1884)
(Taille : 250 Ko)
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"Fouilles exécutées dans les citernes du Kef vers 1885"
par le lieutenant Esperandieu
(Taille : 164 Ko)
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"Notes sur une basilique chrétienne au Kef vers 1886"
par le lieutenant Ch. Denis
(Taille : 437 Ko)
 
"Mission géologique au Kef en 1887"
par Georges le Mesle
(Taille : 391 Ko)
Source Gallica-BNF
 
"Géographie comparée de la province romaine d'Afrique"
par Charles Tissot (1888)
(Taille : 471 Ko)
Source Gallica-BNF
 
"BIRIBI Discipline militaire"
par Georges Darien (1890)
(Taille : 482 Ko)
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"La Tunisie Protectorat Français"
par Charles Lallemand (1892)
(Taille : 1614 Ko)
 
"Les Côtes barbaresques de Tunis à Alger"
par Marius Bernard (1892)
(Taille : 3000 Ko)
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"De la Khroumirie au Djerid"
par le Dr Carton (1894)
(Taille : 437 Ko)
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"Fouilles d'une nécropole romaine au Kef"
par M. le lieutenant Ch. Denis (1894)
(Taille : 134 Ko)
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Roman: "Ali Moktar ben Salem" (passage au Kef)
par Boisville en 1896
(Taille : 490 Ko)
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Promenade en Tunisie par M Henri LORIN, paru dans LE TOUR DU MONDE 1896 publié par Mr Edouard CHARTON
(Taille : 1171 Ko)
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Les gisements mégalithiques de la région du Kef
par le Lieutenant Hilaire (1898)
(Taille : 564 Ko)
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Sur les routes de Tunisie par Mme B. CHANTRE, paru dans LE TOUR DU MONDE 1908 publié par Mr Edouard CHARTON
(Taille : 1.20 Mo)
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"La neige au Kef dans le Haut Tell"
Extrait de la Région du Haut-Tell en Tunisie par Charles Monchicourt (1913)
(Taille : 1350 Ko)
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"L'Afrique Chrétienne" du Père Mesnage. Historique des différents évèques de Sicca Veneria pendant l'époque chrétienne
(Taille : 149 Ko)
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"Inscriptions romaines relevées entre 1889 et 1934" extraites du Bulletin Archéologique (Taille : 2385 Ko)
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" La Campagne de Tunisie" de J. D'Arcy-Dawson, journaliste de guerre en Tunisie en 1943. Ambiance au Kef pendant l'offensive allemande de Kasserine (Taille : 905 Ko)
 
" Le Régime hydro-géologique des calcaires éocènes du synclinal du Dyr El Kef" de Henri Schoeller (1948) (Taille : 2446 Ko)
 
Nouvelles bambochades tunisiennes par Sicca Venier (1984)
 


 

"Description de la Régence de Tunis"
par E. PELLISSIER

   Remontons vers le nord pour arriver à El-Kef, chef-lieu de toute cette partie de la régence. Cette ville est bâtie sur le penchant d'une montagne volcanique, des éruptions de laquelle la tradition du pays a conservé le souvenir; car, outre son nom de Kef, qui signifie "rocher", on l'appelle encore quelque fois Chekeb-en-Nahr, c'est-à-dire "la crevasse de feu".
   Elle est entourée d'un mur peu fort, mais en assez bon état d'entretien, flanqué de quelques petits bastions avec batteries. Le périmètre en est un quadrilatère dont le plus grand côté peut avoir 400 mètres. Ce côté est au midi et dans la partie basse de la ville. Vers le milieu de celui du nord, qui est dans la partie la plus élevée, se trouve la kasbah et tout auprès un château plus petit; ces deux forts sont solidement construits en bonnes pierres et assez convenablement armés.
   Vers l'ouest de la ville, au-dessous de la kasbah, l'enceinte fait une petite saillie pour couvrir un groupe de maisons, qui parait avoir été originairement un faubourg. C'est de ce côté que sont les jardins. Partout ailleurs on ne voit que roches et ravins, qui rendraient les approches de la ville difficiles. Mais au nord de la kasbah, la berge du ravin qui existe en cet endroit est couronnée par une petite esplanade où le terrain est meuble, et où l'on pourrait, par conséquent établir des batteries. En tournant les jardins, on arriverait sans difficulté sur cette esplanade, qui est le véritable point d'attaque, puisque de là on peut battre la kasbah, dont la prise entrainerait celle de la ville.
   El-Kef, que les Tunisiens regardent comme une place fort importante, et qui en effet n'est pas sans valeur, serait du reste sans influence contre une armée d'invasion venant de l'Algérie. La marche de cette armée serait tout naturellement tracée par la vallée de la Medjerda, qui la conduirait jusqu'à Medjez-el-Bab. De cette localité à Tunis le trajet est court et facile.
   La population d'El-Kef est de six mille âmes. On y voit quelques ruines et un grand nombre d'inscriptions. C'est la Sicca Veneria des anciens. Cette ville est la résidence habituelle du kaïa d'El-Kef ou de la Rakba, nom générique que l'on donne quelquefois à toute cette contrée. Celui qui exerce en ce moment ces importantes fonctions est Salah-Ben-Mohamed, que son énergie et sa dextérité dans les affaires ont fait surnommer le Chitan-el-Gheilah "le démon de midi". C'est un fort et puissant homme de cinquante-cinq ans environ. Son extraction est commune; il ne s'est élevé que par sa bravoure et son habileté. Son pouvoir est très grand; son influence morale l'est encore plus peut-être. Un de ses fils est kaïd de Badja, un autre kaïd des Madjer; de sorte qu'il domine, par lui-même ou par les siens, tout l'ouest d'abord, plus une partie du nord et une partie du midi de la régence.
   Salah-Ben-Mohamed jouit d'une fortune personnelle considérable et vit, tant à El-Kef que dans son camp même, au sein d'un luxe assez bien entendu. Brusque, mais dans le fond bienveillant et affectueux, il est très aimé des Arabes, qu'il administre avec fermeté, mais avec justice. Les tribus placées sous ses ordres directs sont très peu foulées. Elles ne payent qu'un impôt léger fixe, et les fermiers du fisc tunisien n'ont point accès chez elles. En un mot, elles sont à peu près franches sous l'autorité patriarcale, et presque indépendante, d'un chef pris dans leur sein; car le démon de midi, qui est en vérité un fort bon diable, est un enfant du pays qu'il administre.
   J'ai été très bien reçu dans cette famille, tant par le père que par les enfants, dont j'ai débarrassé l'un de violentes palpitations de coeur en lui administrant du sirop de Johnson.
   On trouve au nord d'El-Kef, près d'une fontaine appelée Aïn-Abassia, des ruines romaines et sarrasines. Plus loin est le village de Neber, qui possède de beaux jardins et de vastes vergers d'oliviers. Entre Aïn-Abassia et ce village, le chemin coupe deux lignes de roches minces et verticalement soulevées en forme de murs, ce que les géologues appellent dikes. Les Arabes les désignent sous le nom de Sour-en-Nar "les remparts de feu", ce qui en indique la forme et l'origine volcanique. Ces dikes sont composés de calcaire marneux et appartiennent à une couche de cette substance qui s'étend jusqu'à Haïdra. Quelquefois on la trouve horizontalement à nu dans les parties pierreuses des plateaux; ailleurs, sa présence souterraine est décelée par les déchirements des torrents; enfin on la retrouve sur presque tous les pics de soulèvement.
   Les environs immédiats d'El-Kef et l'espace compris entre cette ville et Neber sont occupés ça et là par quelques douars d'Arabes mêlés, parmi lesquels sont beaucoup de Drid et de Trabelsia.
   Voici quelle est approximativement la population de la contrée soumise directement au kaïa d'El-Kef sur la droite de la Medjerda jusqu'à Haïdra :
                   El-Kef et sa banlieue..........8,000
                   Neber et sa banlieue..........1,500
                   Ouarka..............................4,000
                   Charen..............................3,000
                   Oulad-Bou-Ghanem..........4,000
                   Ouartan.............................7,000
                   Doufan..............................3,000
                   Zeralma.............................3,000
                                 TOTAL.............33,500



 

"Nouvelles bambochades tunisiennes"
par Sicca Venier

Le noeud gordien

  Mon arrière-grand-mère avait, toute seule, été contrainte d'émigrer hors de sa Calabre natale : on ne sait trop si son mari, ayant eu des démêlés avec la justice, avait pris le maquis ou bien s'il purgeait sa peine en prison - cela resta un de ces secrets de famille, que les tabous de ce temps-là rendaient inviolables.
  Il en fallait beaucoup plus pour démolir le moral de cette femme, rompue à toute sortes d'épreuves dont elle venait à bout par sa résignation, son opiniâtreté et l'optimisme foncier de ces êtres frustres et si "nature" (dans le bon sens du terme).
  Aussi, pour subvenir aux besoins de ses deux enfants en bas âge, était-elle devenue, par la force des choses, cantinière chez les Zouaves de l'armée d'Afrique, elle qui n'avait été qu'une péquenaude.
  Ma grand-mère - sa fille, âgée de quelques mois - était alors dans les langes, quand sa mère la trimballait derrière les charrois qui avaient franchi la frontière algéro- tunisienne : cette authentique "anabase" marquait le début de l'occupation française laquelle allait aboutir au Protectorat dont la durée (1881-1956) ne devait pas excéder un siècle.

  Bref, quittons l'histoire avec un H majuscule, pour revenir à cette valeureuse femme qui, dès son arrivée au Kef, jugea bon de s'installer dans ce gros bourg, quasi frontalier, troquant ainsi sa cantine ambulante contre un troquet qui allait enfin la sédentariser, d'autant que son fils aîné, robuste adolescent, était désormais capable de la seconder dans son travail, comportant des risques certains.
  Nécessité faisant loi, elle avait à faire bouillir la marmite ; donc pas question de barguigner ou d'aller chercher ailleurs une trop hasardeuse aventure.
  Rien de plus normal qu'on casernât une forte garnison de Zouaves dans la Kasbah keffoise, bâtie par les Turcs avec de gros blocs de pierres de taille, datant de l'époque romaine.
  Une bonne et nombreuse clientèle en puissance pour la nouvelle cabaretière.

Les néguels

  Il est des vocables qui, pour avoir désigné des objets ou des êtres n'existant plus ou bien devenus obsolètes, finissent, eux aussi, (et c'est logique) par tomber en désuétude, puisqu'ils ne sont plus usités. On en perd la signification et même, à la longue, la mémoire.
  Il suffit, pour s'en rendre compte, de feuilleter un dictionnaire : on y déniche alors une assez belle brochette de ces mots que les lexicographes et les linguistes qualifient d'archaïques ou simplement vieillis.

  Or il en est un que j'entends ressusciter, fût-ce dans les limites de ce texte, car ce mot demeure, à titre personnel et sentimental, si vivant à mes oreilles et suscite en moi tout un pan de mon passé qui remonte à mon enfance keffoise.
  Celle-ci ne date pas d'hier, puisqu'elle se situe à cheval entre les années '20 et '30.
  Malgré son apparence, à la fois orthographique et même phonétique, ce mot n'est pas du tout français, mais il est bel et bien emprunté à la langue arabe.
  Je ne vous tiendrai pas plus longtemps la dragée haute, puisque le voici, ce mot, qui vient d'affleurer à ma mémoire : néguel.
  Comme on peut aisément le constater, il est facile à orthographier et, de plus, il est euphoniquement de bon aloi.
  Voilà bien, en tout état de cause, un de ces mots, propre à évoquer pour moi (et, par ricochet, pour vous aussi qui lisez ces lignes) ce petit monde d'autrefois au gré de cette quête du temps perdu à laquelle Proust sut donner ses lettres de noblesse.
  Mon enfance, je l'ai passée au Kef - qui n'était alors et jusqu'aux premières années de l'après-guerre, et donc jusqu'aux approches des années '50 qu'un gros village rupestre.
  Il me souvient encore en allant à rebours du temps, d'avoir aperçu du balcon de la maison de mes grands-parents, le dernier allumeur de réverbères lequel disparut définitivement dès l'apparition fulgurante de la fée électricité - évènement et avènement se situant vers le tout début des années '30.
  C'est dire!

  A l'évidence, j'associe la parole néguel à l'époque, désormais révolue et lointaine, où on n'avait cependant pas encore installé l'eau courante dans les habitations de mon village natal.
  De nos jours, qu'est-ce que cela représente que d'ouvrir un robinet chez soi? Plus rien du tout, tellement ce geste est devenu si simple, si banal et si routinier qu'on le fait automatiquement ; voire, inconsciemment.
  Mais il n'en allait pas de même, du temps de mon enfance. A cette époque-là, effectivement au Kef, on allait puiser son eau aux fontaines publiques.
  Du coup entrent en jeu nos fameux néguels auxquels avait recours quiconque ne pouvait ou surtout ne voulait pas s'y rendre pour des raisons personnelles ou autres ; en tout cas le gros de leur clientèle était constituée par tous ceux qui n'étaient pas impécunieux, la masse des gens l'étant, hélas ! par la force des choses, en raison de la pénurie économique sévissant alors.
  La Source : ainsi était-elle appelée par antonomase la fontaine la plus fréquentée de mon village, sis au pied du jébel Dyr.
  On disait qu'elle avait été captée par les Romains, à moins qu'elle n'ait été découverte par les autochtones eux-mêmes depuis la nuit des temps.
  L'eau de cette source coulait, fraîche au coeur de l'été, glacée en plein hiver, et en toute saison, son débit était abondant qui jaillissait à gros bouillons de ses sept tuyaux.
  Eh oui : 7 - chiffre augural, correspondant aux septuples roseaux de la syrinx du dieu Pan, comme pour chanter les louanges, légitimement méritées et décernées à cette eau généreuse : on pouvait certes la saluer, cette eau, par la quadruple invocation franciscaine, en la qualifiant de "très utile, humble, précieuse et chaste".
  L'eau sans laquelle il n'est de vie possible sur notre planète!

  Mais qui étaient donc ces néguels ? Voilà bien la question que vous vous êtes posée, dès que vous avez lu ce vocable, inconnu jusqu'alors et à laquelle il est temps que je réponde.
  Ainsi appelait-on les porteurs d'eau à qui revenait la méritoire et nécessaire tâche d'apporter l'eau au domicile des gens qui n'allaient pas la chercher sur place, à la Source. J'insiste : de la maison la plus modeste jusqu'à la demeure la plus cossue (ces dernières, on les comptait sur les doigts d'une seule main) point de branchement d'eau jusqu'aux années '30 au Kef : d'où l'évidente nécessité de ces néguels.
  Ainsi donc c'était, tout au long de la journée, un incessant va-et-vient de personnes qui se rendaient en ce lieu géométrique, en ce centre névralgique qu'était forcément ladite Source : point de convergence de gens de tout âges et des deux sexes, munis de récipients aux formes les plus hétéroclites. Toutefois, ceux qui se bousculaient en grand nombre dans cet espace vital, c'étaient nos néguels, bien évidemment, leur gagne-pain, leur raison d'être consistant à porter l'eau à domicile.
  Ces néguels étaient presque tous originaires du Chott-El-Jérid et des oasis du Sud tunisien.
  Je me souviens de celui qui desservait mes grands-parents : c'était un gringalet, aux jambes arquées, au visage émacié, basané et buriné plus par son pénible boulot que par les atteintes d'un âge, déjà proche de la cinquantaine.
  Ce travailleur de force avait un coeur d'or : chaque année, au retour de son oasis natale, il n'oubliait jamais d'offrir à ma grand-mère des dattes : ces "déglas" ambrées, sucrées, dont le renom n'était nullement usurpé.
  Ce qu'il faut surtout savoir c'est que l'indispensable outil de travail de ces néguels n'était autre que le bourricot.
  Pour le coup cet animal méritait bien le titre, peu enviable et pourtant tout à fait mérité, de bête de somme.
  Jugez-en : on chargeait ou plutôt on surchargeait son échine de deux bidons en fer blanc, logés dans deux couffins en alfa, arrimés tant bien que mal (sinon plutôt mal que bien) sur cette pauvre et patiente monture.
  C'étaient des bidons, cabossés tant et plus pour avoir été sans cesse et depuis des années bringuebalés, manipulés sans ménagement. Nombre d'entre ceux-ci, à force d'avoir été emboutis, finissaient même par se trouer, laissant suinter le précieux liquide.
  Ces gagne-petits faisaient seulement appel au ferblantier en désespoir de cause et à la toute dernière limite, sous peine de ne plus pouvoir bosser, si le trou de leur bidon n'était pas à temps bouché par une providentielle soudure.
  Quant aux bourricots de ces néguels, ah, vingt dieux ! ils offraient un spectacle, digne d'inspirer un photographe ou un peintre : c'étaient, pour la plupart d'entre eux, des baudets à la peau pelée, scrofuleuse, excoriée, avec des plaies saignantes et purulentes, tartinées de taons et de mouches voraces.
  Ce qui particulièrement les réduisait en ce piteux état, c'est que ces malheureuses bêtes encaissaient quotidiennement une grêle de coups de trique, au fur et à mesure que diminuait leur ration de picotin.
  Et pourtant ces bourricots de néguels, qui rendaient à ces derniers de bons et loyaux services, ne laissaient pas de trottiner avec ardeur et courage ; il faut savoir qu'ils vous grimpaient, sans barguigner, des rues et des ruelles pentues, auxquelles on accédait parfois au moyen d'escaliers, haut perchés.
  Or, à peine la fatigue ralentissait-elle leur allure, à peine leurs pattes donnaient-elles des signes de fléchissement ou menaçaient-elles de flageoler par trop, aussitôt un coup de trique les rappelait et les ramenait à l'ordre et au devoir : celui de porter et d'apporter l'eau, contenue dans les deux bidons, logés au fond des couffins.
  Inutile de biaiser, d'atermoyer : telle était impérativement leur tâche quotidienne, du matin jusqu'au soir. Aussi les voyait-on s'arc-bouter et repartir de plus belle, coûte que coûte.
  Ah, les braves quadrupèdes que voilà! Les merveilleuses bêtes de somme qu'étaient les bourricots de ces néguels - ceux-là même de ma lointaine enfance keffoise!

  Se pouvait-il que je les oubliasse ? Oh, que non ! Je revois sur l'écran de ma mémoire leurs pattes si grêles que l'on pouvait s'attendre à les voir se rompre tout à trac. Eh bien non : elles tenaient crânement le coup ! Voilà qui m'épatait...


Enfantines keffoises

I

Mon village, salut! Nom sec et rocailleux,
Toi qui te nommais Kef, autrement dit : Rocher,
Jadis tu te nommas d'un nom évocateur,
Mariant le numide et le parler de Rome,
Rappelant le soleil qui assèche et assomme
Ainsi que la Déesse aux baisers capiteux ;
Indélébilement par le ciseau gravé
Sur le cippe, la stèle ou le marbre glorieux,
Ô nom, toi qui fus doux sur des lèvres inhumaines
Lesquelles, trop meurtries d'avoir dans des buccins
Soufflé, te susurraient : Sicca Veneria
Tu chantes à mon oreille, ô nom que modula
Jadis l'hiérodule au fond du soir serein,
Quand bruissait le temple jusqu'aux architraves,
Les jets d'eau hoquetaient en sanglots graves...

II

Bastion numide, avant d'être berceau d'Arnobe,
Après les soirs sanglants, tu eus les blanches aubes
et vers ton ciel jaillit d'emblée et d'un élan
La croix du Christ avec l'islamique Croissant.
Ottomane Kasbah, millénaire défi
Au vent chaud du désert, aux hiémales pluies,
Tu domines la plaine comme un vol de rapace.
Le temps passe sur toi sans laisser nulle trace :
A ta masse carrée et superbement haute,
D'un air crâne et hautain, impavide, s'accotent
Le village pentu, ses rues qui dégringolent
Vers l'olivaie - haut lieu de buissonière école...

III

Vous, oliviers du Kef, qu'êtes vous devenus ?
On y chassait la grive aux premiers froids venus
Et certains garnements aux heures les plus chaudes
Des longs après-midi allaient à la maraude
Dans les vergers, enclos par le mur végétal
Que dressait l'acérée phalange des nopals
Est-il vrai qu'en vertu de l'auto souveraine
Une route aujourd'hui au coeur de ton domaine
Passe ? Et l'on a décimé tes arbres séculaires.
Les odeurs de l'essence et sa pollution
Sont venus supplanter la végétation
Et l'herbe n'est plus, où tout est goudron et pierres

Adieu, mon olivaie, qui fus ma Brocéliande !
Il est bien mort, hélas ! Les temps de mon enfance,
Emportant dans sa mort l'enfantine légende
Qui longtemps a charmé mes rêves d'innocence...

IV

Salut, ma Bandusie, ô fontaine, ô sphinx,
qui sourds on ne sait d'où et chantes éternelle
Par tes tuyaux rangés comme ceux des syrinx !
Mais pour te louanger ma flûte est par trop frêle...