EL-KEF
Texte: Mohamed Tlili

HISTOIRE

L'Islam

La Qalaâ de Shaqbanariya musulmane

La ville connut un premier raid des armées arabes en 688-69 h, du temps de Zuheïr ibn Qaïss Al Balawi. Sa conquête définitive semble acquise à la fin des campagnes de Moussa ibn Noussayr en 703-84h . Islamisée mais insoumise Chaqbanariya sera en 788-172h l’ultime carré de résistance des Berbères Kharéjites soufrites du nord, conduits par Salah Ibn Noussayr En-Nafzi et la Phalange des grands doctrinaires, où ils seront défaits devant le chef des armées de Yazid. La ville, célèbre pour sa Qalaâ (forteresse), fut mêlée néanmoins à plusieurs événements importants comme la chute des Aghalabides en 909, la révolte d’Abi Yazid en 945-334h et les guerres civiles entre Badis et son oncle Hammad en 1015-406h.

Siège de gouverneur à l’époque ziride la ville se déclara autonome au XIe, lors de l’invasion des tribus arabes des Béni Hillal. Les Almohavides la récupèrent des mains de ses seigneurs, les Klaâ en 1159, elle connut en 1181 les incursions de l’Arménien Qaraqouch, relayé par le Moravid Majorquin Ibn Ghaniya qui réussit en 1204 à la faire rentrer sous son autorité après un premier échec en 1200. Ce fut la dernière fois où l’on évoquait la Qalaâ de Chaqbanariya.

Depuis la ville tomba dans l’anonymat complet. C’est à peine si l’on citait son nom. Bien que d’autres sources évoquèrent du XIIe au XIVe sa grandeur et sa splendeur passées, elle est à peine évoquée par le voyageur-pèlerin marocain Al’Abdari au XIIIe sur la route des forteresses (tariq al qilaâ). Ibn esh-Shabbat la visitait en 1254/651; il ne manquait pas, en fin hydraulicien, d’admirer sa grande source et ses ruines. Le fin lettré andalous et juge de la ville, Abi Al Moutarif ‘Amira, au XIVe ne disait pas beaucoup de bien de la ville. Seule image lumineuse de cette époque, l’enseignement que donna Sidi Ahmed bin Harzallah au XVe, disciple de Sidi Ahmed bin Arous. La ville semble garder toutefois son prestige religieux.

El-Kef centre des ‘Arouch Es- Senjaq et métropole confrérique

Fief autonome de la tribu arabe des Muhalhil, les Béni Channouf, au moment de la décomposition du pouvoir Hafside, Chaqbanariya, devenue au cours du XVIe siècle, El Kef - forteresse refuge - sera reprise, à la fin du XVIe s., par les Ottomans de Tunis pour en faire un important point d’appui pour contenir les tribus autonomes de la région et recréer le territoire national. On y construit déjà, dés 1601, un premier fort. Des conflits frontaliers avec le voisin algérien en 1614 et 1628 allaient mettre en valeur la position forte du Kef. On y installa dés 1637 une garnison permanente (oujaq) appuyée par des tribus supplétives (makhzen). Elle devint un véritable bastion avancé de la Régence de Tunis face à l’Ouest.

El-Kef connaîtra, à partir du XVIIe s. et sous l’ombre de cette nouvelle paix, un essor économique, urbain et culturel remarquable. Son rôle religieux sera encore mieux souligné par la fondation d’ordres confrériques et maraboutiques.

Sa vocation défensive restera néanmoins prédominante. Elle sera l’enjeu des différents conflits armés qui marquèrent la fin du XVIIe s. et le début du XVIIIe s. entre prétendants mouradites et Algériens et entre Ibrahim Chérif et ces derniers. Ces multiples conflits allaient amener au pouvoir une nouvelle famille régnante originaire du Kef, celle des fils du Grec Ali Turki, originaire de Candie et commandant de la place et des njou’a arabes du Kef, Husseïn, Mhamed et son fils Ali Bacha, ainsi que le frère maternel de Husseïn, Ameur Bey. El-Kef est connu comme la ville du trône (Bled el-kursi). La place forte du Kef demeura le principal théâtre et enjeu des longs conflits qui opposèrent, dans la première moitié du XVIIIe, les partisans de Husseïn bin Ali et ceux de son neveu Ali Bacha, querelles attisées par les interventions armées des Turcs d’Alger. Ali Bacha renforçait considérablement les fortifications du Kef et la ceinturait de remparts, dés 1740. La dernière campagne de 1756 verra toutefois la destruction de la ville et son désarmement. Ce n’est qu’au début du XIXe que Hamouda Bacha, décidé à s’affranchir de la tutelle d’Alger, réhabilita la place du Kef et relèvera de nouveau ses fortifications. Celles-ci permirent de nouveau, à côté de la participation active des principaux chefs religieux de la ville et du ralliement des tribus frontalières de remporter d’écrasantes victoires sur Alger et de sauvegarder l’intégrité du territoire de la Régence de Tunis et son indépendance. La ville allait s’imposer, à partir de la fin du XVIIIe comme une véritable métropole confrérique et maraboutique. On y dénombrait à la fin du siècle dernier la plupart des grandes confréries du Maghreb telles les Aïssaouiya, les Rahmaniya, les Qadriya et plus de cent coupoles de marabouts. Les grandes confréries constituèrent également de véritables dynasties telles que les Bou Hanbil, les Chrichi, les Bou Hajjar, les Gzouni, les Qaddour, les Boudali. Certains comme les Rahmaniya et les Qadriya bénéficiaient d’un très large rayonnement en Tunisie et en Algérie.

La ville du Kef, au XIXe, constitua toujours un véritable foyer de personnalités religieuses, intellectuelles et politiques, tels que Cheikh Nassr El-Kefi, Cheikh Ahmed Zarrouq El-Kefi, Cheikh Mohamed As- Snoussi, Cheikh Mohamed Al-Lakhmi, Abdelwahab Cherni, Cheikh Mohamed Chadli El-Kefi, Al Kahiya Salah bin Mohamed Al Klaâi, Cheikh Ahmed bin Hassine, le Cheikh et savant Ali bin Nssib El-Kefi, le Cheikh et voyageur Mohamed bin Youssef El-Kefi. La ville donna également de véritables dynasties de cadhis et des muftis comme les Bin Ammar, La’roussi, Bin Zouari, ‘Asli.

Devenue après l’occupation de l’Algérie un sanctuaire de résistants algériens, comme El Hassnaoui et Kablouti, la ville connaîtra bien des déboires. Elle deviendra un véritable foyer d’espionnage et d’intrigues, surtout après l’installation du premier bureau de télégraphe en 1857. La ville connut également et malgré les différents conflits, disettes, épidémies, une prospérité économique et une importante expansion urbaine. El-Kef fut en 1864 au cœur de la grande insurrection des tribus ounifa de la région contre le pouvoir beylical et les exactions des Mamlouks de la cour. Même si les chefs religieux de la ville tentèrent d’y jouer un rôle modérateur, la ville et sa région connaîtront une répression aveugle. Les calamités de 1867 finiront par précipiter la ville dans le gouffre. Celle-ci connaîtra un déclin urbain et démographique fatal achevé par l’occupation militaire française de 1881 où les chefs religieux, le gouverneur et la population de la ville étaient partagés entre la modération et la résistance armée. Certains notables ralliés par le fameux agent consulaire français Bernard Roy, devaient jouer un rôle non négligeable dans la reddition pacifique de la légendaire place forte du Kef.

Place militaire française, centre de colonisation et d’exploitation minière, El-Kef fut érigée en commune dès 1884. Elle sera le centre administratif de la IIIe Région. La ville jouera au cours de la seconde guerre mondiale le rôle de capitale provisoire du pays demeuré hors des zones occupées par les forces de l’Axe. On avait eu même le projet d’y chercher un Bey pour remplacer Moncef Bey, destitué. Foyer de militantisme politique, syndical au cours de la lutte nationale, El-Kef et sa région étaient également un sanctuaire de la résistance armée tunisienne et algérienne. Le leader Habib Bourguiba aimait y séjourner et s’identifia souvent à Jugurtha. Marginalisée par des politiques économiques récentes, la ville connaît actuellement un renouveau urbain remarquable. Son patrimoine architectural, en particulier, ne cesse de bénéficier d’importants programmes de restauration et de mise en valeur, dignes de sa longue et prestigieuse histoire. La ville est en passe de devenir, outre un foyer culturel, un centre universitaire et technologique. D’importants efforts d’incitation à l’investissement privé laissent entrevoir des perspectives meilleures.


Heurtoir avec Ech-Chehada (Porte de Sidi Bou Makhlouf)

 

Cavalier tlili perpétuant les traditions équestres numides et les chevauchées arabes

 

Vue générale sur le flanc ouest de la médina dominé par le petit fort d'el-Qasba

 

Mosquée Sidi bou Makhlouf

 

Portrait du fondateur de la dynastie husseinite:  Hussein bin Ali

 

Porte d'entrée du grand fort (Qasba)

 

Estampe du Kef (1834)

 

Medina du Kef

 

L'agent consulaire de la France au Kef Bernard Roy

Visite du leader Bourguiba au Kef en 1958 en compagnie du leader nationaliste marocain Allala el-Fessi

Visite du leader Bourguiba au Kef en 1973 en compagnie de Haouari Boumédien, ex-Président de la République algérienne