EL-KEF
Texte: Mohamed Tlili

HISTOIRE

                             L'ANTIQUITE

La ville du Kef apparaît pour la première fois, à la fin du IIIe siècle av. J.-C., sous le nom de Cirta. Cirta, (prononcé Kirta et Chirta), traduit vraisemblablement le nom "achirta" signifiant en phénicien haut-lieu sacré, temple, consacrés généralement au culte d’Achtar. Achirta, Athirta sont généralement des noms archaïques d’Achtar. Le verbe araméen, langue dominante de l’époque, "chirt" signifie se consacrer au service religieux. L’occultation de l’aleph initial étant fréquente en Occident phénicien, à l’exemple d’Azama devenu Zama, "a-chirta" s’est transformé probablement en "chirta". Chirta, étant en rapport étroit avec le sens de sanctuaire et de sacerdoce consacrés à Achtar, traduit vraisemblablement un théonyme.

Située en plein cœur de la Numidie traditionnelle : le Regnum Numidiae, limitrophe du territoire côtier carthaginois, Cirta devait s’illustrer comme ville temple dédiée à une déesse-mère, identifiée à travers Athené, Athor et Vénus à l’Achtar orientale. Temple où l’on signalait la pratique de la prostitution sacrée, en fait c’est une forme de confrérisme féminin mal interprété, nous semble-t-il, par le moraliste romain Valère Maxime. Culte qui a dû s’assimiler à un substrat hiérophanique autochtone moustérien et néolithique plus ancien, dont on avait signalé déjà les manifestations.

Cirta fut, dés l’époque numide déjà, une ville-temple et un centre de pèlerinage au milieu d’une large amphictyonie, celle des Kirtesii et de la fédération des villes cirtésiennes (Vaga, Lares, Zama, Vatari ?). Cette organisation territoriale autochtone survivra plus tard, à l’époque romaine, sous la forme d’une pertica avec ses différentes pagii et castellae (Aubuzza, Castellum..., Ucubi).

Cirta regia, capitale du Regnum numidiae.

Ayant essuyé une première défaite aux côtés de ses alliés carthaginois en avril -203 dans les grandes plaines situées entre Utique et Carthage, Syphax rentra à Cirta. Sur les insistances de Sophonisbe, il décida de lever une nouvelle armée et de s’opposer à l’envahissement de ses frontières orientales par Massinissa, soutenu par Laelius, lieutenant de Scipion. La bataille s’engagea sur les bords d’un cours d’eau, vraisemblablement celui de oued Tessa situé à 24 km. à l’est du Kef. Elle se termina par une seconde défaite de Syphax et par sa capture. Très impatient d’occuper Cirta et de saisir Sophonisbe, Massinissa précéda Laelius ; la ville ferma ses portes, Massinissa mit le siège tout autour de la ville et établit des garnisons devant chaque porte. A la présentation de Syphax emprisonné, la ville ouvrit ses portes et Massinissa courut s’emparer du palais de ce dernier et de sa femme Sophonisbe.

Ville massaesyle conquise grâce au concours des armées romaines, Cirta fût laissé à Massinissa qui en fit également sa résidence. Débarqué en Afrique, Hannibal, rallié par les partisans de Syphax et les ennemis massyles de Massinissa, tenta en 202 av. J.-C de marcher sur Cirta et d’en chasser ce dernier. Il fut intercepté au niveau de Zama, non loin de Cirta, par Scipion rejoint la veille par Massinissa.

Ce n’est qu’après la défaite d’Hannibal à Zama et le traité de 201 av. J.-C que Massinissa, reconnu par Rome comme roi de la Numidie, s’empara des riches terres à blé du nord de la Massaesylie. Le traité de 200 av. J.-C entre Rome et Vermina, fils de Syphax, tout en reconnaissant des frontières aux Massaesyles, semble les refouler et les contenir vers le sud-ouest du pays, moins riche. Le pouvoir territorial de ces derniers disparaîtra, plus tard, après la destruction de Carthage.

Syphax, roi des Numides massaesyles, ayant fait de Cirta, dés 205 av. J.-C, sa résidence, c’est Massinissa (203-148 av. J.-C.), roi des Numides massyles, après sa victoire sur Syphax en 203 av. J.-C. et bien avant la bataille de Zama (202 av. J.-C.), qui allait renforcer son rôle de capitale du royaume numide unifié : le Regum Numidiae. Micipsa (148-118 av. J.-C.), son fils et héritier, l’embellit. Les Anciens la qualifiaient de ville splendide, elle accueillait une importante colonie grecque et italique, généralement des lettrés, des architectes et des négociants en blé. On signalait dans Cirta , à l’époque de Syphax, des palais et des fortifications. Echue à Adherbal, après la mort de son père Micipsa en 118 av. J.-C., Cirta fut assiégée et investie par Jugurtha en 112 av. J.-C. Elle se rendit aux Romains en 108 av. J.-C., qui établirent, non loin, un camp permanent pour mener leur guerre contre Jugurtha, retiré dans le Sud.

Colonia Julia Cirta et Sicca Veneria romaines

Cirta était occupée en 46 av. J.-C. par Sittius, l’allié de César, lors de sa guerre d’Afrique contre les Pompéens ; elle avait dû être confiée dans un premier temps à Sittius jusqu’à la mort de ce dernier en 44 av. J.-C. avant qu’elle ne soit annexée, dans un second temps, à l’Africa Nova avec le reste de la Numidie indépendante de Juba. Cirta, proche à la fois de la Fossa Regia, de Thugga et de Zama, était assiégée, en tant que résidence probable du gouverneur romain de cette nouvelle province, Sextius, lors des conflits qui opposa celui-ci à Cornificius, gouverneur de l’Africa Vetus (42-40 av. J.-C.).

La ville était érigée, probablement du temps de Lépide en 40 av. J.-C., en colonie julienne, Colonia Julia Cirta, suite à un vœu de J. César. C’est aussi pour résoudre le statut ambigu des anciens compagnons de Sittius, que la colonie julienne de Cirta allait être scindée en deux. Les Sittiens seront transférés plus à l’ouest, à Cirta (Constantine), alors que la colonie julienne mère de Cirta allait être renforcée par Auguste, entre 36 et 27 av. J.-C, par la déduction des nouveaux colons, les Siccensis, vraisemblablement des descendants de vétérans marianistes transplantés de l’Est et des vétérans de J. César, fraîchement démobilisés. Ces colons, comme ceux de Cirta-Constantine, devaient être classés dans la tribu romaine de Quirina. Pour mieux distinguer les deux colonies, notre ville devait porter, dès lors, le nom de Sicca et garder néanmoins, suite à ce renouvellement de la colonie, son ancien nom accolé du qualificatif nova (Cirta Nova).

Très tôt, celle-ci devient le centre d’un important mouvement migratoire et d’un vaste territoire colonial (pertica), mentionné, lors des guerres de Tacfarinas (17-24 ap. J.-C.), sous le nom des pagi Cirtensium. Ce sont les mêmes lieux de Cirta de Numidie où devait se rendre, pendant les moissons, la main d’œuvre saisonnière qui arrive des hauts plateaux proches de Makthar (CIL., VIII, 11814). Il n’est pas exclu que Cirta Sicca, dont le territoire initial devait s’étendre sur une très vaste superficie, n’était pas, pour un temps, le siège du légat de la Numidie proconsulaire avant la création du Diocèse d’Hippone à la fin du II siècle ap. J.- C.

La ville sera plus connue sous le nom officiel de Colonia Julia Veneria Cirta Nova Sicca, bien qu’on l’avait désignée, assez tôt, au début de l’époque impériale, du temps de Tibère, sous le double nom de Cirta et de Sicca. Le nom usuel qui devait prédominer était néanmoins Sicca Veneria, nom composé reflétant son statut mixte et particulier, celui d’une ville-temple. On y distingue entre l’ordo des Siccenses civil et les Venerii religieux (colonia Siccensium et Veneris). Le nom de Cirta fut toutefois utilisé dans les milieux autochtones jusqu’au IVe. Sicca est signalée par la plupart des sources géographiques et chorographiques anciennes comme dans : Pline, Ptolémée, l’Itinéraire d’Antonin, la Table de Peutinger, l'Anonyme de Ravenne. Elle est au centre d’un important carrefour routier, c’est la plus importante station sur la voie qui relie Carthage à Cirta (Constantine).

Parmi les nombreux gentilices, les plus connus de l’onomastique romaine à Sicca, on relève en particulier ceux des Antistius, des Aurelius, des Caecilii, des Calpurnii, des Sallustii, des Calecinius, des Laberii, des Ilius surtout,… Sous la direction de l’ordo des Siccenses, la ville devait connaître une remarquable évolution urbaine et architecturale marquée par d’importantes réalisations monumentales. On y élève de nombreuses installations hydrauliques, forums, Capitole, temples, théâtre, amphithéâtre, arcs de triomphe, forteresse, monuments honorifiques. La ville avait dû connaître notamment une importante production artistique, particulièrement dans l’art de la mosaïque. La multiplicité des thermes, les jeux de cirque, les représentations théâtrales, dont certaines sont données en langue grecque, l’animation de la vie économique, politique et religieuse laissent deviner une cité prospère et vivante. Cirta Sicca, devenue creuset romano-africain, donnait à l’empire romain une brillante élite et d’illustres personnages politiques, littéraires, scientifiques, tels que les Aquila, Q.Iulius (IIe), chevalier de l’ordre équestre en Germanie, en Pannonie Supérieure et en Judée, et son frère I. Fidus (IIe), épistratège en Thebaïde et en Dacie Inférieure et C. Iilius Aquilinus (IIe), chevalier romain également, P.L. Papirianus (IIe) procurateur de l’Empereur M. Aurèle, célèbre par son legs au conseil municipal de la ville, les Laberii, magistrats à Thubursicu Numidarum, M. Tuticius (Eutychius)(IIe), précepteur de Latin de M. Aurèle et procurateur des biens de l’empereur dans la région, Nepotianus (IIIe), citoyen de Sicca Veneria, occupait la première chaire romaine de rhétorique latine avec un traitement de 100.000 sesterces, il est qualifié de procurator centenarius primae cathedrae. Macrobius (Ve) est philosophe et gouverneur de Carthage et de l’Espagne, Caelius Aurelianus (Ve), médecin bien connu du monde antique.

Le vieux temple d’Ashtar, célèbre par son confrérisme féminin, était converti, du temps des Juliens, en temple de Vénus, dirigé par un collège des Venerii, il était, vraisemblablement, rénové au IIe, du temps d’Hadrien. Le temple de Vénus restait en activité jusqu’au début du IVe s. et continuait à bénéficier de soins particuliers de la part du curateur de la ville Valerius Romanus, avant d’être sérieusement concurrencé par l’église.

La ville avait dû connaître au milieu du IIIe d’importants troubles, dont la révolte d’Aradion, tué et honoré par le futur empereur Probus non loin de la ville, où il devait lui élever un important mausolée. Sicca devait servir, notamment, du temps de Gallien (253-268) et des fameux trente empereurs usurpateurs, à la malheureuse aventure de l’imperator africain Celsus (265), qui était destitué et massacré, après une semaine, par les citoyens et la garnison de la ville, restés fidèles à la légalité. On y signale même une parente de l'empereur: Galiena.

Sicca chrétienne

C’est à partir du IIIe que la ville était signalée comme le centre d’un important évêché. Elle a eu toutefois son martyr, l’évêque Castus (255). Son église connut ses heures de gloire grâce à d’autres évêques célèbres tels que Patrice (348), Fortunatianus (407), Paulus le donatiste (411), Urbanus (429), Paulus (481), Felix le Vandale (Ve), Candidus (VIIe). Arnobe, natif de la ville, ardent défenseur de la foi chrétienne, enseignait à Sicca, du temps de Dioclétien, à la fin du IIIe, la rhétorique. Parmi ses élèves il y avait le fameux Lactance. Saint Augustin y animait la vie monastique. C’est à la fin du IVe qu’on construisait sur les vestiges du Capitole païen l’importante église de saint Pierre.

A l’époque des Vandales, Sicca, devenu fief de l’arianisme, était un lieu de déportation de plus de quatre milles Catholiques persécutés par Hunéric. Saint Fulgence tentait, plus tard, d’y fonder un ordre mais sans succès.

A l’époque byzantine la ville était dotée d’édifices religieux et d’ouvrages de fortification qui en font l’une des plus importantes places du pays pour surveiller les grands axes et contrer les mouvements de résistance maures. Son nom Sicca Veneria s’est transformé, à la fin de l’Antiquité classique, sous l’influence chrétienne d’une ville vénérée à une ville bénie Sikkabeneria, nom que les Arabes allaient hériter, transcrire et transmettre sous la forme de Chaqbanariya

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Monnaie dite de Massinissa

Epoque et contexte de l’apparition du nom de Cirta

Le rappel du contexte de la première apparition du nom de Cirta est capital pour départager et déterminer de quelle Cirta, celle de Constantine ou du Kef, s’agit-il  en fait ?

C’est au moment où les différents épisodes de la IIe guerre punique se précipitent, commencent à impliquer de plus en plus l’intérieur du pays et jettent une lumière particulière sur les royaumes autochtones que le nom de Cirta, resté jusqu’ici anonyme, apparaisse au grand jour.

Le contexte, marqué en outre par les guerres de succession massylo-massyles, les interventions massaesyles et carthaginoises dans cette querelle, et la résistance de Massinissa, dont le foyer est situé au nord-est tunisien plutôt proche des terres de Carthage, met surtout en relief la proximité de cette dernière et exclut la lointaine Constantine. C’est justement au moment où d’importants événements se préparent au nord-est tunisien et que des menaces romaines se précisent de plus en plus contre Carthage que Syphax, roi des Massaesyles, désormais allié de cette dernière, sur les insistances de son beau-père Asdrubal, décida de s’opposer aux ambitions de son ennemi juré Massinissa, roi des Massyles, sorti vainqueur de la guerre de succession contre son rival Lacumazès. Défait par Syphax Massinissa organisa sa résistance tout le long des crêtes et des massifs montagneux et boisés situés sur l’axe Hippo-Cirta (T.L.,XXIX, 32, 14), que la logique géographique et archéologique localise déjà tout le long des monts entre Bizerte et El- Kef, véritable colonne vertébrale du mégalithisme, caractéristique de l’aire numide. C’est en s’appropriant le territoire oriental des Massyles, limitrophe de Carthage, et devant les menaces du débarquement romain en Afrique, que Syphax décida de s’installer avec sa nouvelle épouse carthaginoise Sophonisbe à Cirta, ville massaesyle, et d’en faire dés 205 av. J.-C. sa nouvelle résidence. En réunifiant le royaume numide Syphax recentre, ainsi, mieux l’équilibre territorial de ce dernier, d’autant qu’il allait se retrouver plus proche de Carthage, sa nouvelle alliée, pour la secourir et prendre part à la guerre qui se prépare contre les armées romaines. Outre cette raison géo-politique, le choix de Cirta(Kef) devait être probablement dicté par le prestige religieux de celle-ci et de celui de son temple d’Achtar, le séjour de Sophonisbe devait être, à cet égard, fort symbolique, s’il n’était pas délibéré déjà. Les Carthaginois semblent prendre part à la vénération du peuple d’Achtar (les Kirtisii –Chirtisis- Venerii). On a signalé le peuple d'Ashtar en rapport avec Carthage; Virgile mentionait  la prêtresse du pays des Massyles. 

Monnaie dite de Jugurtha

jugurtha2.jpg (10623 octets)

MMonnaie romaine émise en 116-115 av. J-C. à l'occasion de la division de la Numidie

 

 

 

Auguste fondateur de la Colonie des Siccenses

 

 

Buste de Vespasien découvert au Kef


 

Fragment de statue romaine découvert au Kef

 

 

Fragment en marbre représentant  Léda découvert au Kef

 

Mosaïque représentant Vénus

 

 

Stèle chrétienne

Dalle funéraire chrétienne

Abside de la Basilique paléochrétienne de Dar el-Kous (Saint Pierre)

Aqueduc romain

 

Thermes romains dans le centre ville